Microbiote intestinal #23
Par le Pr. Satu. Pekkala
Chercheuse à l’Académie de Finlande, Faculté des sciences
du sport et de la santé, Université de Jyväskylä, Finlande
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Chapitres
A propos de cet article
Le microbiote intestinal régule l’insomnie via l’axe intestin-cerveau
Si lien bidirectionnel est établi entre le sommeil et le microbiote intestinal, ses mécanismes sous-jacents sont largement méconnus. Il semble cependant que des métabolites produits dans les intestins soient en mesure d’affecter certains comportements chez l’hôte, comme l’anxiété. Des études cliniques ont par ailleurs fait état d’altérations du microbiote intestinal chez des personnes souffrant d’insomnie chronique.
Wang et al. ont cherché à déterminer comment le microbiote intestinal pouvait façonner le comportement de sommeil. À cette fin, ils ont étudié le comportement de veille-sommeil chez des souris exemptes d’organismes pathogènes spécifiques (EOPS) et des souris axéniques. Les souris axéniques sont indemnes de TOUT micro-organisme, y compris ceux typiquement présents dans les intestins, alors que les souris EOPS sont dépourvues des organismes pathogènes figurant sur une liste spécifique. L’électroencéphalogramme (EEG)-électromyogramme (EMG) ambulatoire de 24 heures a montré que les souris axéniques présentaient une durée d’éveil et de sommeil paradoxal réduite par rapport aux souris EOPS.
Pour identifier les métabolites spécifiques impliqués dans les modifications de comportement de sommeil médiées par le microbiote intestinal, les auteurs ont étudié des échantillons de selles et de tissu hypothalamique par métabolomique ciblée. Leur analyse a montré que le butyrate, un acide gras à chaîne courte issu du microbiote intestinal, constituait le modulateur le plus important du comportement de sommeil.
De plus, l’administration par voie orale de tributyrine, un précurseur du butyrate, a entraîné une réduction significative de 39,50 % de l’éveil et une augmentation de 77,99 % du sommeil paradoxal. Le mécanisme sous-jacent semble être une inhibition par la tributyrine de l’activité des neurones à orexines dans l’hypothalamus latéral. En étudiant les humains, les auteurs ont également observé une diminution de 39 bactéries productrices de butyrate chez les patients insomniaques versus les témoins. Pour finir, les auteurs ont également montré que les souris axéniques qui avaient reçu le microbiote des patients insomniaques présentaient des troubles du sommeil, qui ont disparu après supplémentation en butyrate. Pour conclure, cette étude met en évidence le potentiel du butyrate comme agent thérapeutique pour diminuer les troubles du sommeil.
La toxine cytolétale distendante produite par Campylobacter jejuni favorise les métastases dans le cancer colorectal
Plusieurs bactéries pro-tumorigènes, telles que les Escherichia coli (E. coli) génotoxiques et les Bacteroides fragilis (B. fragilis) entérotoxigènes, ont été associées aux métastases cancéreuses. De plus, il a été montré que les Campylobacter productrices de toxine cytolétale distendante (cytolethal distending toxin, CDT) étaient enrichies dans les tissus tumoraux comparativement aux tissus adjacents normaux. Cependant, le lien entre bactéries productrices de génotoxines et métastases cancéreuses est mal compris. Les auteurs ont prélevé des tissus de cancer colorectal (CCR) primitif chez 34 patients naïfs de chimiothérapie (stades TNM I et IIA) ayant présenté des métastases à distance dans les 3 ans (groupe avec métastases) et chez 37 patients restés indemnes de métastases (groupe sans métastases) au cours du suivi de 3 ans. Ils ont mis en évidence un enrichissement significatif en Campylobacter dans le groupe avec métastases et un pronostic significativement plus sombre chez les patients présentant des Campylobacter intratumorales. Ils ont également confirmé leurs observations à l’aide d’une cohorte de validation et d’une base de données publique. La CDT est le principal facteur de virulence en cause dans la pathogenèse médiée par Campylobacter et, dans les cellules de l’hôte, elle induit des dommages à l’ADN et un arrêt du cycle cellulaire. Le groupe avec métastases a davantage exprimé la sous-unité bioactive de la CDT (cdtB) et l’antigène B d’invasion de Campylobacter (ciaB), un facteur de virulence spécifique à C. jejuni.
In vitro, C. jejuni a significativement augmenté la capacité de migration et d’invasion de plusieurs lignées cellulaires de CCR. Dans un modèle murin, l’administration de C. jejuni a augmenté la capacité de migration et d’invasion par rapport aux témoins et dans un autre, elle a significativement augmenté les métastases hépatiques. Globalement, ces résultats prouvent que les C. jejuni intestinales favorisent les métastases dans le CCR. Il est intéressant de noter que la capacité pro-métastatique était atténuée en l’absence de CdtB. Du point de vue du mécanisme, il semble que la CDT a activé la voie de signalisation JAK-STAT, conduisant à l’expression de gènes MMP et à des métastases tumorales.
Maladie de Crohn quiescente, micro-organismes sulfidogènes et voies métaboliques du soufre : conséquences fonctionnelles
Dans la maladie inflammatoire chronique de l’intestin en phase quiescente, il n’y a pas d’inflammation active. Cependant, les patients font état de symptômes persistants, en particulier ceux atteints de la maladie de Crohn (MC). Il est établi que le microbiote est altéré chez les patients en phase quiescente de la MC qui présentent des symptômes persistants (MCq + S). En particulier, les patients présentant une MCq + S possèdent davantage de micro-organismes sulfidogènes et de voies des gènes microbiens du métabolisme du soufre. Cependant, la signification fonctionnelle de ces modifications reste inconnue. Dans cette étude observationnelle multicentrique, un séquençage shotgun métagénomique et un profilage métabolomique des selles des patients présentant une MCq + S ont été réalisés. De plus, des patients présentant une maladie de Crohn active (MCa), une maladie de Crohn quiescente sans symptômes GI persistants (MCq-S) et un syndrome de l’intestin irritable avec diarrhée prédominante (SII-D) ont été inclus et comparés aux patients présentant une MCq + S.
Les auteurs indiquent que les métabolites fécaux au sein des voies de la cystéine/ méthionine, des acides biliaires et des acides gras étaient parmi les plus différentiellement abondants chez les patients présentant une MCq + S versus les autres groupes. Ces différences ont persisté même lorsque l’inflammation, définie par le taux de calprotectine, était plus faible. Les voies de la glycine, de la sérine et de la thréonine ; du glutathion ; et de la cystéine et de la méthionine étaient les plus enrichies dans la MCq + S, et celles-ci constituent des voies métaboliques du soufre importantes dans les intestins humains. En plus des métabolites, de nombreux gènes bactériens du métabolisme du soufre étaient dérégulés dans la MCq + S. En intégrant les ensembles de données métagénomiques et métabolomiques, les auteurs ont par ailleurs montré que les voies de la taurine et de l’hypotaurine ; du nicotinate et du nicotinamide ; de la cystéine et de la méthionine ; et de la glycine, de la sérine et de la thréonine étaient les principales voies métaboliques associées aux micro-organismes enrichis dans la MCq + S.
Comme des concentrations élevées d’H2S inhibent les fonctions mitochondriales de l’hôte, ces résultats suggèrent des liens entre les métabolites d’origine microbienne et la fonction mitochondriale de l’hôte chez les patients présentant une MCq + S. En fin de compte, les résultats de cette étude suggèrent que les stratégies visant à diminuer les micro-organismes sulfidogènes et les voies métaboliques du soufre associées pourraient constituer une nouvelle approche pour améliorer la qualité de vie dans la maladie de Crohn quiescente avec symptômes persistants.