Nos microbes signent-ils nos allergies alimentaires ?
Les premiers mois de vie sont essentiels au bon développement du système immunitaire du nouveau-né. Il est étroitement lié à la composition du microbiote intestinal, lui-même dépendant de facteurs tels que le mode d’accouchement, les sécrétions du tube digestif, l’environnement, l’alimentation… Alors que les allergies alimentaires sont de plus en plus corrélées à des déséquilibres du microbiote intestinal, les chercheurs espèrent comprendre leur survenue en étudiant les premiers instants de vie.
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ATTENTION
Ce contenu a été rédigé et publié en octobre 2019. Il est donc susceptible de ne pas être actualisé. Pour des informations plus récentes sur les allergies nous vous invitons à consulter cette page.
Dans le sillon de l’hypothèse hygiéniste qui consiste à penser que l’excès d’hygiène des dernières années est en partie à l’origine de l’explosion des allergies dans le monde industrialisé, on admet désormais qu’un (sidenote: Immunité innée et adaptative Le corps humain assure sa protection grâce à 2 types de mécanismes de défense : l’immunité innée et l’immunité adaptative. L’immunité innée est la première ligne de défense contre les agents infectieux, c’est une réaction immédiate. Tandis que l’immunité adaptative intervient plus tardivement, mais procure une protection durable. Janeway CA Jr, Travers P, Walport M, et al. Immunobiology: The Immune System in Health and Disease. 5th edition. New York: Garland Science; 2001. Principles of innate and adaptive immunity. ) moins exposé à des (sidenote: Micro-organismes Organismes vivants qui sont trop petits pour être vus à l'œil nu. Ils incluent les bactéries, les virus, les champignons, les archées, les protozoaires, etc… et sont communément appelés "microbes". What is microbiology? Microbiology Society. ) dans la très petite enfance peut conduire à des allergies plus tard dans la vie14. Cette problématique, très vive dans les pays industrialisés, a un écho assez préoccupant au Japon où l’incidence des allergies chez les enfants de trois ans est passée de 8,5 % en 2004 à 16,7 % à Tokyo en 201415. Face à cet enjeu de santé publique, les scientifiques locaux se mobilisent.
POINTS- CLÉS: L'HYPOTHÈSE HYGIÉNISTE
Théorie qui tend à établir une relation de causalité entre l’excès d’hygiène et le développement d’allergies.
Cet excès occasionnerait :
- un défaut de la balance Th1/Th2, deux lignées de cellules immunitaires (lymphocytes)
- une domination des Th2 qui oriente l’immunisation vers des réactions de type allergique
Les partisans de cette théorie avancent que :
- les populations infectées à un haut degré par les parasites présentent une fréquence très basse d’asthme et de rhinites allergiques
- les enfants contaminés par des agents infectieux tôt dans l’enfance font moins d’allergies par la suite
- les enfants vivant à la campagne et en contact permanent avec les animaux de ferme ont moins d’allergie que ceux de la ville. (Source : ANSES)
Au Japon, on sait que tout (ou presque) se joue avant l’âge d’un an
Certains d’entre eux se sont intéressés à la première année de vie dans le but d’y trouver une sorte de « signature microbienne » chez les nourrissons ayant développé des allergies alimentaires avant l’âge de deux ans16. Dans leurs hypothèses, ces chercheurs ont été très attentifs aux deux moments-clés de l’évolution du microbiote intestinal : la période de lactation (en général jusqu’à neuf mois après la naissance), durant laquelle la flore est dominée par les bactéries lactiques (Bifidobacterium) ; puis celle du sevrage, pendant laquelle le microbiote se diversifie, devient plus abondant, et tend vers celui de l’adulte17. Pendant ces périodes se développe la tolérance aux antigènes alimentaires - des macromolécules extérieures à l’organisme provenant d’aliments et capables de déclencher une réaction immunitaire via la production d’anticorps. Toute altération du processus peut alors engendrer des allergies chez les enfants18. Pour cette étude prospective menée auprès de 56 nourrissons, l’équipe japonaise a analysé les selles à un mois, deux mois, six mois et un an : quatorze ont développé des allergies alimentaires avant l’âge de deux ans - voire avant un an pour dix d’entre eux. En corrélant ces résultats aux analyses de microbiotes, les chercheurs ont remarqué que pendant la phase de lactation, et dès l’âge de deux mois, certaines bactéries productrices d’acides lactiques étaient déjà bien moins présentes chez les enfants ayant développé des allergies alimentaires avant l’âge de deux ans. De quoi attribuer un rôle protecteur à certaines espèces, présentes en particulier dans le lait maternel et provenant du microbiote intestinal de la mère, selon certaines études19. Les chercheurs ont aussi noté des différences notables au niveau de bactéries qui assimilent le lactate (Veillonella) et sous-représentées chez les enfants allergiques.
Lactation et sevrage au cœur du processus de l’allergie
Lors du sevrage, le microbiote intestinal des enfants atteints d’allergies (alimentaires et autres) était marqué par la présence plus abondante de certains types d’entérobactéries - l’une des plus importantes familles de bactéries - et celui des enfants avec allergies alimentaires par deux espèces de Clostridium dont le mode d’action devra faire l’objet de recherches plus précises. La diversité bactérienne des enfants allergiques était par ailleurs significativement plus basse que chez les enfants sains. Ce que les chercheurs interprètent comme un signe d’apparition imminente de l’allergie. Finalement, ces résultats - montrant que des altérations très précoces du microbiote intestinal pendant la lactation et le sevrage peuvent induire des allergies alimentaires - concordent globalement avec ceux de précédentes études réalisées dans d’autres pays. Reste à savoir si c’est la (sidenote: Dysbiose La « dysbiose » n’est pas un phénomène homogène : elle varie en fonction de l’état de santé de chaque individu. Elle est généralement définie comme une altération de la composition et du fonctionnement du microbiote, provoquée par un ensemble de facteurs environnementaux et liés à l’individu, qui perturbent l’écosystème microbien. Levy M, Kolodziejczyk AA, Thaiss CA, et al. Dysbiosis and the immune system. Nat Rev Immunol. 2017;17(4):219-232. ) qui génère la pathologie (l’allergie), ou bien l’inverse. Grâce aux résultats de cette recherche, le microbiote intestinal de la mère, source de bactéries productrices d’acides lactiques et protectrices, constitue une piste de prévention des allergies alimentaires infantiles.
CHIFFRES CLÉS
LES ALLERGIES ALIMENTAIRES EN CHIFFRES:
1 à 3 % des adultes sont touchés par des allergies alimentaires et 4 à 6 % des enfants dans le monde (données OMS)
75 % des allergies alimentaires infantiles sont dues à un petit nombre d’aliments : oeufs, cacahuètes, lait, poisson, noix, noisettes et amandes (données OMS)
Plus de 30 % des enfants concernés sont allergiques ou intolérants au lait de vache en France (Source : ANSES)
14 Feehley T, Stefka AT, Cao S et al. Microbial regulation of allergic responses to food. Semin Immunopathol 2012;34: 671–88
15 http://www.fukushihoken.metro.tokyo.jp/allergy
16 Tanaka M., Yuki Korenori Y., Washio M. et al. Signatures in the gut microbiota of Japanese infants who developed food allergies in early childhood, FEMS Microbiology Ecology, 93, 2017
17 Bergström A, Skov TH, Bahl MI et al. Establishment of intestinal microbiota during early life: A longitudinal, explorative study of a large cohort of Danish infants. Appl Environ Microb 2014;80:2889–900
18 Ling Z, Li Z, Liu X et al. Altered fecal microbiota composition associated with food allergy in infants. Appl Environ Microb 2014;80:2546–54
19 Jost T, Lacroix C, Braegger CP et al. Vertical motherneonate transfer of maternal gut bacteria via breastfeeding. Environ Microbiol 2014;16:2891–904