Microbiote et maladie d’Alzheimer

Par le Pr. Pascal Derkinderen
Service de neurologie, Nantes Université et Inserm U1235, Nantes, France

Commentaire de l’article de Ferreiro et al. Gut microbiome composition may be an indicator of preclinical Alzheimer’s disease. Sci Transl Med 2023; 15(700): eabo2984

L’axe microbiote intestin-cerveau est un sujet « tendance » dans le domaine des maladies neurodégénératives et la maladie d’Alzheimer (MA), la plus fréquente d’entre elles, ne fait pas exception. Une méta-analyse récente identifiait 17 études de ce type (438 personnes atteintes de MA et 672 témoins) [1]. Bien que les résultats de ces études soient parfois divergents, il est généralement proposé que la dysbiose observée au cours de la MA traduit un changement vers un profil « pro-inflammatoire » [1]. L’ensemble des études disponibles concernent la MA avec troubles cognitifs avérés, et il n’y a pas à présent de données dans la MA préclinique. Cette phase de la maladie qui précède de plusieurs années les troubles cognitifs et au cours de laquelle les nouveaux marqueurs biologiques et d’imagerie permettent de détecter la pathologie amyloïde, une des deux caractéristiques neuropathologiques de la maladie. Ce manque est désormais comblé avec cette publication récente dans laquelle les auteurs ont tiré bénéfice d’une cohorte assez originale puisqu’elle consiste en 164 personnes qui ont un suivi longitudinal de leurs fonctions cognitives, couplé à une imagerie cérébrale (tomographie par émission de positons, TEP et à une ponction lombaire), ces deux derniers examens détectant directement ou indirectement la présence de dépôts de peptide b-amyloïde [2]. Au moment de l’analyse du microbiote intestinal (entre 2019 et 2021), les sujets avaient entre 68 et 94 ans (45% d’hommes) ; à cette date, 49 sujets sur les 164 étaient classés comme ayant une forme préclinique de MA, c’est à dire qu’ils avaient des marqueurs amyloïdes positifs en imagerie et/ou dans le liquide cérébrospinal sans atteinte cognitive clinique. L’analyse du microbiote a montré des différences entre sujets sains et sujets avec une MA préclinique : les espèces les plus significativement associés à la MA préclinique étaient Dorea formicigenerans, Faecalibacterium prausnitzii, Coprococcus catus et Anaerostipes hadrus. Les voies métaboliques associées avec les formes précliniques de MA impliquaient les voies de dégradation de l’arginine et l’ornithine alors que la voie de dégradation du glutamate était surreprésentée chez les sujets sains.

Pensez-vous que les analyses d’échantillons de selles seront bientôt ajoutées aux tests permettant d’identifier les personnes atteintes d’Alzheimer précoce afin de les orienter plus rapidement vers des traitements adaptés ?

La première question qui vient logiquement à l’esprit à la lecture de cet article est de se demander si l’analyse du microbiote pourrait être proposée pour identifier les personnes avec une MA à un stade précoce ou préclinique. D’un point de vue du neurologue, la réponse est plutôt négative. En effet, les données actuelles, tant dans la MA avérée que préclinique ne permettent pas de dégager un microbiote « type », permettant de la distinguer d’une population témoins lors d’un examen des selles réalisable en routine. Et surtout, il existe désormais des marqueurs de MA fiables même à un stade préclinique facilement utilisables en clinique. Si l’on met de côté l’imagerie TEP qui n’est pas accessible dans tous les centres et l’analyse du liquide céphalo-rachidien par ponction lombaire qui peut être considérée comme invasive, il est désormais possible de détecter des modifications du niveau d’expression et/ou de phosphorylation de certaines protéines impliquées dans le processus neurodégénératif dans le plasma et donc à partir d’un simple prélèvement sanguin aussi dans bien dans la MA avérée que préclinique [3].

Partageriez-vous cette publication avec vos patients pour expliquer le lien entre le microbiote intestinal et le cerveau, afin de renforcer le rôle clé que joue le microbiote intestinal dans la santé humaine ?

Pour terminer sur une note plus positive, il est en revanche indéniable que cet article, en montrant pour la première fois une modification de la composition du microbiote dans la MA préclinique, apporte de nouveaux arguments pour penser que le microbiote pourrait jouer un rôle dans le développement de la MA et ce à un stade précoce. Dans ce contexte, son résumé et sa vulgarisation pourraient être proposés au grand public ou à certains patients afin d’insister sur le rôle important du microbiote en santé. Il conviendra toutefois à l’avenir de vérifier que ces résultats peuvent être répliqués indépendamment par d’autres équipes.

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Parole d’expert

Microbiote Vaginal #20

Par le Pr. Satu Pekkala
Chercheur à l’Académie de Finlande, Faculté des sciences du sport et de la santé, Université de Jyväskylä, Finlande

21% Seule 1 femme sur 5 affirme connaître le sens exact du terme « microbiote vaginal »

Fausses couches à répétition : étude de cas sur la transplantation de microbiote vaginal (TMV)

Wrønding T, Vomstein K, Bosma EF et al. Antibiotic-free vaginal microbiota transplant with donor engraftment, dysbiosis resolution and live birth after recurrent pregnancy loss: a proof of concept case study. EClinicalMedicine 2023; 61.

Ce cas-patient présente un véritable intérêt scientifique. Une femme ayant des antécédents de fausses couches tardives et une dysbiose vaginale sévère a bénéficié d’une transplantation de microbiote vaginal (TMV). Cinq mois plus tard, elle était enceinte, avec une flore vaginale saine, puis accouchait d’un enfant à terme. Pour autant, il convient de préciser les limites de cette étude : elle ne concerne qu’une seule et unique patiente chez qui un syndrome des anti-phospholipides (SAPL, une thrombophilie associée à des fausses couches) avait été diagnostiqué et dont la prise en charge lors sa dernière grossesse pourrait expliquer (partiellement ou totalement) les résultats.

Avant la transplantation, la patiente de 30 ans, mère d’un enfant, avait fait une série de fausses couches, parfois tardives (S27 en 2019, S17 et S23 en 2020). Elle se plaignait depuis neuf ans de démangeaisons et d’écoulements vaginaux, qui s’aggravaient au cours de ses tentatives de grossesse, malgré des traitements. Et pour cause : son microbiote vaginal présentait en juillet 2021 une très forte dysbiose, avec 91,3 % de Gardnerella spp. À titre compassionnel, une TMV issue d’une donneuse saine a été réalisée en septembre 2021, au 10e jour de son cycle menstruel, sans prétraitement antibiotique. En effet, si un traitement antibiotique par voie orale ou vaginale (métronidazole ou clindamycine) laisse espérer un taux de guérison des dysbioses vaginales de 80 à 90 % après un mois, le taux de récidive peut atteindre 60 % à un an et se double d’un risque de résistance. La TMV a rapidement corrigé la dysbiose et ses symptômes, et a installé pour plusieurs mois une dominance de Lactobacillus, avec des souches similaires à celles de la donneuse. En février 2022, la patiente est tombée enceinte naturellement, grossesse pendant laquelle son SAPL a été pris en charge. Le suivi régulier de son microbiote vaginal a révélé, à la 6e semaine de grossesse, le retour de Gardnerella spp. (41,8 %). Une seconde TMV était initialement prévue deux semaines plus tard… mais le jour dit, L. crispatus avait de nouveau largement reconquis le microbiote de la patiente.

Au terme de la grossesse, un petit garçon en parfaite santé est né par césarienne programmée. Ces résultats doivent être confirmés par des études cliniques complémentaires mais suggèrent que la TMV pourrait être un traitement potentiel pour les patientes présentant une dysbiose vaginale sévère, y compris celles à risque de complications après une fécondation in vitro.

Pour les auteurs, cette étude de cas fait office de preuve de concept, mais elle est aussi porteuse d’espoir pour les thérapies basées sur la modulation du microbiote vaginal.

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Revue de presse

Microbiote intestinal #20

Par le Pr. Satu Pekkala
Chercheur à l’Académie de Finlande, Faculté des sciences du sport et de la santé, Université de Jyväskylä, Finlande

Couv press review Mag 18

Un régime personnalisé basé sur le microbiote pour améliorer le prédiabète

Ben-Yacov O, Godneva A, Rein M, et al. Gut microbiome modulates the effects of a personalised postprandial-targeting (PPT) diet on cardiometabolic markers: a diet intervention in pre-diabetes Gut 2023;72:1486-1496.

Les chercheurs de l’Institut Weizmann ont été les premiers à développer des approches alimentaires personnalisées basées sur le microbiote intestinal (MI). Dans cet article, Ben-Yacov et al. ont étudié les effets du régime personnalisé ciblant la réponse glycémique postprandiale (PPT, personalized postprandial-targeting) comparativement au régime méditerranéen (MED) sur les facteurs de risque cardiométabolique. D’une manière générale, on sait que le régime alimentaire a une incidence sur la santé cardiométabolique, mais la modulation éventuelle de ces effets par le MI a été très peu étudiée dans un contexte longitudinal.

Dans cet essai de 6 mois, 225 adultes prédiabétiques ont été randomisés dans deux bras afin de suivre un régime PPT ou MED. Le régime PPT reposait sur un algorithme et le régime MED sur les recommandations de diététiciens. D’une manière générale, l’intervention PPT impliquait un apport pauvre en glucides et riche en graisses, dans la mesure où les glucides alimentaires sont un constituant important de la réponse glycémique postprandiale. Par rapport au régime MED, l’intervention PPT a davantage augmenté la diversité et la richesse du MI. Dans le bras PPT, la consommation de certains aliments riches en catéchine, notamment le chocolat noir et les noix de cajou, était augmentée. L’intervention PPT a en outre été associée à un enrichissement en Flavonifractor plautii, une bactérie qui participe au métabolisme du flavonoïde catéchine. Selon un modèle statistique, des modifications d’espèces spécifiques du MI ont en partie joué un rôle de médiateur dans les effets du régime alimentaire sur les résultats cliniques. Par exemple, la modification de l’espèce UBA11471 sp000434215 (de l’ordre des Bacteroidales) a joué un rôle de médiateur partiel dans l’effet du changement de la consommation « d’huiles et graisses méditerranéennes » sur le taux d’HbA1c. L’HbA1c est une hémoglobine glyquée utilisée pour évaluer le diabète. Il a été observé que trois espèces bactériennes (appartenant aux ordres des Bacteroidales, Lachnospiraceae et Oscillospirales) jouent un rôle de médiateur dans l’effet du régime PPT sur les taux d’HbA1c, de HDL-cholestérol et de triglycérides.

En conclusion, cette étude vient corroborer le rôle du MI dans la modification des effets des changements alimentaires sur les résultats cardiométaboliques et fait progresser la notion de nutrition de précision pour réduire les comorbidités dans le prédiabète.

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Le métabolome fécal dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin

Vich Vila A, Hu S, Andreu-Sánchez S, et al. Faecal metabolome and its determinants in inflammatory bowel disease. Gut 2023; 72: 1472-85.

La rectocolite hémorragique (RCH) et la maladie de Crohn (MC) sont les deux principales formes de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI). Plusieurs métabolites microbiens sont connus pour influer sur les réactions inflammatoires qui jouent un rôle important dans les MICI. Toutefois, les études non ciblées du métabolome fécal dans les MICI sont rares. Dans cette étude, le potentiel des métabolites fécaux en tant que biomarqueurs des MICI a été évalué.

L’étude comprenait 255 témoins sains et 424 patients présentant une MICI. Les analyses métabolomiques non ciblées étaient accompagnées d’analyses de la composition du microbiote intestinal, du séquençage de l’exome et des données génomiques dans les deux cohortes. Les métabolomes des groupes présentant une MICI étaient caractérisés par une déplétion des vitamines et des molécules liées aux acides gras. En outre, les patients présentant une MICI avaient des taux plus élevés du composé phénolique p-crésol sulfate, qui est produit lorsque les bactéries intestinales fermentent les protéines. Les patients atteints de RCH présentaient les plus faibles taux d’acides gras à chaîne courte anti-inflammatoires fécaux. Pour identifier les biomarqueurs potentiels, une approche d’apprentissage automatique a été utilisée afin de prédire les phénotypes des maladies. Le ratio entre sphingolipide et L-urobiline a permis de distinguer les échantillons MICI et non MICI. Chez les patients atteints d’une MICI, l’augmentation des pathobiontes était associée à une augmentation des taux de sphingolipides, d’éthanolamine et d’acides biliaires primaires.

Chez les patients atteints d’une MC, la résection de la valvule iléo-cæcale était associée à des modifications des taux de 212 métabolites, tels que l’acide cholique. En outre, la résection était associée à une abondance réduite de Faecalibacterium prausnitzii, qui a également affecté négativement les taux de métabolites anti-inflammatoires. Une analyse de médiation a montré que les associations observées entre mode de vie, facteurs cliniques et métabolites fécaux étaient déterminées par des altérations du microbiote intestinal.

D’une manière générale, cette étude montre le potentiel des métabolites fécaux en tant que biomarqueurs des MICI et que, malgré l’influence du mode de vie, de la génétique et de la maladie, les micro-organismes intestinaux sont de puissants prédicteurs des taux de métabolites fécaux.

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Une immunothérapie modulée par le microbiote oriente les lymphocytes T intestinaux immunosuppresseurs vers les cancers

Fidelle M, Rauber C, Alves Costa Silva C, Tian AL, et al. A microbiota-modulated checkpoint directs immunosuppressive intestinal T cells into cancers. Science 2023; 380: eabo2296.

Une résistance des cancers à l’immunothérapie (immune checkpoint inhibitors, ICI) utilisée à des fins thérapeutiques peut résulter d’un traitement antibiotique (ATB), pouvant impliquer le microbiote intestinal. Toutefois, cette relation n’a pas été étudiée de manière approfondie. Par conséquent, Fidelle et ses collaborateurs se sont attachés à combler ces lacunes en utilisant un modèle de rongeur et des patients humains. D’après la littérature, les bactéries intestinales peuvent induire la différenciation des lymphocytes. Les lymphocytes sensibilisés dans les ganglions lymphatiques mésentériques ou migrant vers la lamina propria intestinale expriment l’intégrine α4β7 interagissant avec son contre-récepteur, la protéine MAdCAM-1 (mucosal addressin cell adhesion molecule-1), qui est exprimée dans les veinules à endothélium épais (HEV, high endothelial venules). Cela empêche de manière importante la migration des lymphocytes Treg17 vers les tumeurs intestinales, pouvant nuire aux effets anticancéreux des ICI. Les Th17 constituent un sous-ensemble de lymphocytes T auxiliaires pro-inflammatoires définis par leur production d’interleukine 17 (IL-17). Ces cellules sont liées aux lymphocytes T régulateurs et aux signaux entraînant l’inhibition de la différenciation des Treg par les Th17.

Chez les rongeurs, le traitement ATB a réduit l’expression de MAdCAM-1. Ce phénomène pourrait s’expliquer par la recolonisation intestinale par le genre Enterocloster. En outre, l’administration orale d’Enterocloster était suffisante pour diminuer l’expression de MAdCAM-1. La restauration de l’expression de MAd CAM-1 sur les HEV iléales par transplantation microbienne fécale ou blocage de l’IL-17A a inversé les effets inhibiteurs de l’ATB. L’expression ectopique de MAdCAM-1 dans le foie a entraîné un maintien local des lymphocytes Treg17 α4β7+ entérotropes. Ce maintien a réduit encore leur accumulation dans les tumeurs et amélioré l’efficacité de l’immunothérapie chez les souris. Dans les cohortes de patients atteints d’un cancer du poumon, du rein et de la vessie, de faibles taux sériques de MAdCAM-1 présentaient un impact pronostique négatif. En conclusion, l’axe MAdCAM-1–α4β7 devrait de préférence être pris en compte dans l’immunosurveillance du cancer.

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Revue de presse

Temps forts de l’UEGW 2023

Par le Dr. Elena Poluektova
Clinique Vasilenko de la propédeutique des maladies internes, gastro-entérologie et hépatologie, I.M. Sechenov First Moscow State Medical University, Moscou, Russie

Du 15 au 17 octobre 2023, s’est tenue à Copenhague la 31e  édition de l’UEGW, événement au cours duquel les questions majeures en matière de diagnostic et de traitement des maladies gastro-intestinales sont traditionnellement abordées.

La grande majorité des présentations ont fourni des informations sur la composition et les fonctions du microbiote, ainsi que sur le microbiote gastro-intestinal en tant que cible thérapeutique dans le traitement de diverses maladies.

Un symposium spécial (« Fungi in your gut: friends or foes » - Les champignons dans votre intestin : amis ou ennemis) était consacré au mycobiote en tant que composant du microbiote, à la formation du mycobiote, aux facteurs environnementaux influençant la composition du mycobiote, à l’interaction entre le mycobiote et les bactéries (Selena Porcati, Italie), à son rôle dans la pathogenèse des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) (Dragos Ciocan, France) et à son implication potentielle dans la carcinogenèse (Alexander Link, Allemagne).

 

Le microbiote dans le syndrome de l’intestin irritable et les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin

Les informations concernant le rôle du microbiote dans la pathogenèse du syndrome de l’intestin irritable (SII) et des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) sont de plus en plus nombreuses (symposium « Disease primer: The role of gut microenvironment in IBD and IBS » - Déclenchement de la maladie : le rôle du microenvironnement intestinal dans le SII et les MICI). Harry Sokol (France) et Rinse K. Weersma (Pays-Bas) ont rapporté que les modifications de la composition du microbiote peuvent être considérées comme un biomarqueur de MICI et pourraient être ciblées par une intervention thérapeutique au moyen de probiotiques, de postbiotiques, de bactériophages et de la transplantation fécale. En ce qui concerne les modifications de la composition microbienne du tractus gastro-intestinal chez les patients présentant un SII, elles contribuent indéniablement à tous les mécanismes pathogènes de la maladie (inflammation de la paroi intestinale, altération de la motilité, hypersensibilité) ; par conséquent, la prescription d’antibiotiques non absorbables et de probiotiques peut être considérée comme un élément essentiel du traitement du SII (Magnus Simren [Suède] et Premysl Bercik [Canada]).

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Qu’est-ce qu’un microbiote sain ?

Un certain nombre de questions ont été soulevées, sans réponses définitives pour le moment. Par exemple, nous ne savons toujours pas bien ce que le terme « microbiote sain » recouvre réellement. On suppose qu’il serait plus approprié d’utiliser le terme « microbiote malade » (entérotype B2), reflétant les modifications inflammatoires dans l’intestin et le transit accéléré – lorsque le microbiote est représenté essentiellement par des Bacteroides, possède peu de Firmicutes et présente une faible diversité microbienne. Cibler la composition du microbiote pour le détourner de l’entérotype B2 peut être considéré comme une nouvelle stratégie thérapeutique (Jeroen Raes, Belgique).

En outre, en raison de l’importance incontestable de la composition du microbiote intestinal à la fois pour maintenir l’être humain en bonne santé et pour favoriser la pathogenèse de certaines maladies non infectieuses chroniques, les cliniciens, souvent de manière déraisonnable, comptent aujourd’hui sur les analyses de composition microbienne en tant qu’outil diagnostique, pronostique ou thérapeutique. Un nombre croissant d’entreprises commerciales proposent des tests diagnostiques basés sur le microbiote, sans indications d’utilisation claires ni interprétation fiable des résultats. Un consensus international est en cours d’élaboration, réunissant plus de 50 experts internationaux dans le but ultime de rationaliser les tests diagnostiques, les approches thérapeutiques et la progression des connaissances dans le domaine du microbiote (Gianluca Ianiro, Italie).

Outre cette discussion sur le microbiote en tant que facteur pathogène direct et cible d’intervention thérapeutique, d’autres aspects de la pathogenèse et du traitement des maladies associées à la dysbiose du microbiote intestinal ont également été présentés. On trouve parmi ces maladies les MICI et les cancers.

Depuis plus de 20 ans, nous avons des preuves génétiques et sérologiques indirectes du rôle des champignons dans l’inflammation intestinale chez les patients présentant des MICI, comme les anticorps anti-saccharomyces chez les patients atteints de la maladie de Crohn et le polymorphisme génétique de la protéine CARD9 (caspase recruitment domain-containing protein 9) et de la dectine-1. Ces polymorphismes sont perçus par les récepteurs de reconnaissance de motifs moléculaires, qui émettent des signaux d’activation des cytokines pro-inflammatoires. De nombreuses études menées au cours des dix dernières années prouvent que l’abondance d’espèces de champignons dans l’intestin des patients atteints de MICI est plus basse que celle des personnes saines. Les altérations de la composition du mycobiote sont associées à une mauvaise réparation des lésions des muqueuses (dans un modèle animal). Saccharomyces boulardii administré en tant que probiotique peut réduire l’inflammation intestinale en restaurant la barrière intestinale (dans un modèle animal). Mais le recours à la modification de la communauté fongique pour traiter les MICI nécessite des recherches supplémentaires (Dragos Ciocan).

Ces dernières années, un intérêt croissant a été porté au rôle potentiel des champignons intestinaux et de leurs récepteurs de reconnaissance (par exemple, récepteurs de la lectine de type C) dans le développement des cancers humains, comme les cancers de l’œsophage, de l’estomac ou du pancréas, le cancer colorectal, le carcinome hépatocellulaire et des cancers non gastro-intestinaux également, notamment le mélanome et le cancer du sein. Certaines études démontrent que les agents pathogènes fongiques peuvent induire des réponses inflammatoires, contribuant à la tumorigenèse.

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Retour congrès

LASPGHAN 2023 - Synthèse

Par le Dr. Lygia de Souza Lima Lauand
Département de pédiatrie, São Paulo, SP, Brésil

Le 24e  Congrès latino-américain et 15e Congrès ibéro-américain de gastro-entérologie, hépatologie et nutrition pédiatriques, organisé par le LASPGHAN, s’est tenu en octobre à Rio de Janeiro, au Brésil. En outre, le 24 octobre a eu lieu la rencontre PROBIOTICS, PREBIOTICS, POSTBIOTICS IN PEDIATRICS (PPPP, Probiotiques, prébiotiques, postbiotiques chez l’enfant) avec un atelier sur les applications cliniques.

Troubles gastro-intestinaux fonctionnels et microbiote

Le microbiote intestinal a une relation bidirectionnelle avec la motilité, la sensibilité viscérale, la fonction sécrétoire gastro-intestinale, la perméabilité et le système immunitaire. Les probiotiques semblent prometteurs dans le traitement des troubles fonctionnels. Pour les coliques du nourrisson, l’ESPGHAN recommande certaines souches de Lactobacillus et de Bifidobacterium chez les nourrissons nourris au sein exclusivement. Les professionnels de santé peuvent suggérer différentes souches de Lactobacillus en cas de douleur abdominale fonctionnelle ou pour réduire les symptômes du syndrome de l’intestin irritable (IBS) [1].

Moduler le microbiote pour influer sur la vie du nourrisson

Des facteurs tels que le type d’accouchement, l’allaitement [2], l’environnement et l’absence d’utilisation d’antibiotiques ont un impact positif sur la colonisation néonatale, favorisant un environnement intestinal sain, l’équilibre métabolique, l’homéostase et la tolérance immunologique. À l’inverse, une naissance prématurée, une césarienne, l’absence d’allaitement, l’admission en soins intensifs néonataux et l’utilisation d’antibiotiques peuvent entraîner une dysbiose, favorisant l’apparition de maladies liées au système immunitaire. Les stratégies de modulation et de prévention de la dysbiose impliquent une alimentation équilibrée et l’utilisation de probiotiques, prébiotiques, symbiotiques et postbiotiques.

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Microbiote du lait humain

Le lait humain contient des probiotiques, des prébiotiques, des symbiotiques et des postbiotiques, qui contribuent collectivement à l’équilibre du microbiote chez les enfants allaités. La peau de la mère et la cavité buccale du nourrisson sont identifiées comme les principaux facteurs contribuant au microbiote du lait. Les facteurs qui modulent le microbiote du lait humain incluent l’âge gestationnel, le sexe du nourrisson, le mode d’accouchement, le stade de lactation, le mode d’alimentation, la localisation géographique, la densité du réseau social, l’état de santé et l’alimentation de la mère [3].

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Infection des voies respiratoires supérieures et microbiote

Les infections des voies respiratoires supérieures (IVRS) entraînent une prescription abusive d’antibiotiques dans le monde entier, et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que le nombre de décès liés à la résistance aux antibiotiques pourrait atteindre 10 millions d’ici 2050. Une revue systématique a montré une réduction globale de 35 % du nombre d’IVRS lorsque des probiotiques étaient utilisés, une diminution de 2 jours de la gravité des symptômes et une réduction de 45 % de l’utilisation d’antibiotiques. Certaines souches de probiotiques semblent prometteuses pour réduire l’incidence des IVRS virales, la sévérité des infections et l’utilisation d’antibiotiques [4].

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Retour congrès

Les enfants et adolescents ayant un trouble déficit de l’attention avec hyperactivité un trouble du spectre de l’autisme partagent des compositions du microbiote distinctes

ARTICLE COMMENTÉ - Rubrique enfant

Par le Pr.Emmanuel Mas
Gastro-entérologie et nutrition, Hôpital des Enfants, Toulouse, France

Commentaire de l’article original Bundgaard-Nielsen et al. [1]

Un lien a été suggéré entre l’altération du microbiote intestinal et le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et le trouble du spectre autistique (TSA), respectivement. Les auteurs ont donc analysé la composition du microbiote intestinal d’enfants et d’adolescents atteints ou non de ces troubles et ont évalué les effets systémiques de ces bactéries. Ils ont recruté des participants à l’étude chez qui un TDAH, un TSA ou un TDAH/TSA comorbide avait été diagnostiqué, tandis que les groupes de contrôle étaient constitués de frères et sœurs et d’enfants sans lien de parenté avec eux. Le microbiote intestinal a été analysé par séquençage du gène de l’ARNr 16S de la région V4, tandis que la concentration de la protéine liant les lipopolysaccharides (LBP), des cytokines et d’autres molécules de signalisation a été mesurée dans le plasma. Il est important de noter que les compositions du microbiote intestinal des cas de TDAH et de TSA étaient très similaires pour la diversité alpha et bêta, tout en étant différentes de celles des témoins non apparentés. En outre, un sous-ensemble de cas de TDAH et de TSA présentait une concentration accrue de LBP par rapport aux enfants non atteints, en corrélation positive avec les interleukines (IL)- 8, 12 et 13. Ces observations indiquent une perturbation de la barrière intestinale et du système immunitaire.

Que sait-on déjà à ce sujet ?

Les troubles déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et les troubles du spectre de l’autisme (TSA) sont des troubles du neurodéveloppement. Ces enfants avec TDAH et TSA ont souvent des troubles digestifs à type de douleurs abdominales et constipation. Des anomalies génétiques sont impliquées dans la survenue de ces troubles, en interaction avec des facteurs de risque environnementaux, notamment alimentaire. Ainsi, à côté des traitements médicamenteux, des prises en charge diététiques sont proposées. En effet, la composition du microbiote intestinal est essentielle dans la régulation de l’axe intestin-cerveau. Or, on sait que les enfants avec TSA ont souvent une sélectivité alimentaire qui peut expliquer une modification du microbiote intestinal. En plus de la dysbiose, une augmentation de la perméabilité intestinale a été décrite, de même qu’une inflammation systémique de bas grade, à la fois dans les TDAH et TSA. L’objectif de cette étude était d’analyser en parallèle les modifications du microbiote intestinal dans des groupes TDAH, TSA et ayant à la fois TDAH/TSA, ainsi que chez des fratries non affectées et des témoins non apparentés. Les objectifs secondaires étaient d’évaluer la perméabilité intestinale et le système immunitaire.

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Quels sont les principaux résultats apportés par cette étude ?

Ont été inclus 95 enfants âgés de 5-17 ans, dont 32 TDAH, 12 TSA, 11 TDAH/ TSA, fratries respectivement 14, 5, 4, et 17 témoins non apparentés. Les troubles digestifs étaient constipation : TDAH 15,6 % (fratrie 7,1 %), TSA 8,3 % (fratrie 0 %), TDAH/TSA 18,2 % (fratrie 0 %), témoins 5,9 % ; douleurs abdominales : TDAH 3,1 % (fratrie 0 %), TSA 16,7 % (fratrie 0 %), TDAH/TSA 18,2 % (fratrie 0 %), témoins 0 % ; et moins souvent un reflux gastro-œsophagien. Une alimentation atypique était retrouvée essentiellement chez les TSA (50 %), marquée par une alimentation peu variée. L’analyse du microbiote intestinal n’a pas retrouvé de variation de la diversité alpha entre TDAH, TSA, TDAH/TSA et témoins apparentés ou non ; par contre, elle était significativement plus faible chez es fratries de TSA (figure 1). La composition du microbiote intestinal était très similaire entre TDAH et TSA, comme en témoigne la diversité béta, mais celle-ci différait significativement entre TDAH et TSA par rapport aux témoins non-apparentés (figure 2). L’analyse de la composition du microbiote intestinal a montré que certains enfants TDAH, TSA, ou TDAH/ TSA avaient une abondance relative plus faible du phylum Bacteroidetes et plus importante d’Actinetobacteria. Tous les groupes étaient dominés par les genres Bacteroides, Faecalibacterium, Blautia et Bifidobacterium ; certains enfants avaient une quantité élevée de Prevotella. Des différences d’abondance des genres bactériens ont été retrouvées entre TDAH, TSA et témoins (figure 3) mais pas entre TDAH et TSA.

Il n’y avait pas de différence de calprotectine fécale entre les différents groupes, ainsi qu’avec les témoins apparentés ou non, de même que pour LPS-binding protéine (LBP). Toutefois, il n’y avait pas de corrélation non plus entre calprotectine fécale et LBP avec les diversités bactériennes alpha et béta. Différentes cytokines et chimiokines ont été mesurées, sans différences significatives entre les différents groupes ; cependant, plusieurs individus TDAH et TSA avaient des taux plus élevés d’IL1-RA par rapport aux témoins non apparentés et 5 enfants TDAH et 1 TSA avaient des concentrations d’IFN-g plus élevées que les témoins non apparentés. Enfin, de faibles corrélations positives ont été trouvées entre LBP et IL-8 (p = 0,023), IL-12 (p = 0,018), IL-13 (p = 0,035) et PlGF (p = 0,045), suggérant qu’une altération de la fonction de barrière intestinale entraînerait une dérégulation immunitaire.

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Key point
  • There is confirmation of a modification to the gut microbiota in neurodevelopment disorders such as ADHD and ASD. The abnormal gut microbiota and the increase in intestinal permeability are probably involved in low-grade systemic inflammation
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Quelles sont les conséquences en pratique ?

Cette étude a été réalisée sur un petit nombre de personnes, notamment pour les témoins apparentés. Le microbiote intestinal, ainsi que la perméabilité intestinale, pourraient être des cibles pertinentes pour la prise en charge d’enfants et d’adolescents ayant des TDAH et des TSA

CONCLUSION

Les enfants et adolescents TDAH et TSA ont un microbiote intestinal similaire, mais différent des témoins non apparentés. Par ailleurs, des variations de la diversité béta du microbiote intestinal, de même qu’une augmentation de la LBP, étaient associées à des différences entre molécules pro et anti-inflammatoires au niveau systémique.

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Le microbiote intestinal en cause dans la maladie d’Alzheimer

Le microbiote intestinal des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer s’avère dysbiotique. Mais est-ce la cause de la maladie, ou une conséquence ? Des expériences de FMT menées chez le rat suggèrent un rôle causal.

Photo: Le microbiote, la clé du diagnostic précoce de la Maladie d'Alzheimer ?

Le microbiote intestinal serait impliqué dans la maladie d'Alzheimer. En témoignent des altérations spécifiques de cette flore chez des malades et dans les modèles murins. Mais ces modifications du microbiote intestinal sont-elles la cause ou un symptôme de la maladie ? Des travaux publiés dans Brain 1 apportent quelques éléments de réponse.

Altération de l’état cognitif et signature microbienne 

Les 64 malades d’Alzheimer inclus dans l’étude présentent, comparativement à 69 sujets sains, une inflammation systémique accrue. Leur microbiote est enrichi en Bacteroidetes (qui comprend de nombreuses espèces pro-inflammatoires) et appauvri en Firmicutes et Verruocomicrobiota (reconnues bénéfiques). Clostridium sensu stricto 1 et Coprococcus, producteur d’acides gras à chaîne courte, sont moins présents, tandis que l’abondance du pathobionte Desulfovibrio s’accroit.

Or, ces altérations du microbiote intestinal s’avèrent associées à l'état clinique des patients atteints d'Alzheimer, et notamment aux scores d'évaluation cognitive et mnésique MMSE (Mini-Mental State Examination) : moins Coprococcus est présent, moins le score MMSE est élevé ; plus Desulfovibrio et Dialister sont abondants, plus le score MMSE se dégrade. Ces résultats montrent une signature microbienne de l’altération des performance cognitives dans la maladie d'Alzheimer.

60-70% des cas La démence résulte de diverses maladies et lésions qui affectent le cerveau. La maladie d’Alzheimer est la cause la plus courante de démence et serait à l’origine de 60 à 70 % des cas.

Plus de 55 millions Actuellement, plus de 55 millions de personnes sont atteintes de démence dans le monde. Chaque année compte près de 10 millions de nouveaux cas.

Une FMT modifie la fonction colique…

Restait à comprendre la contribution du microbiote intestinal humain dans la maladie d'Alzheimer. Pour ce faire, l’équipe a transplanté des échantillons fécaux de patients Alzheimer et sujets sains à de jeunes rats adultes au microbiote appauvri par 7 jours d’antibiotiques. Alors que la diversité des taxons se maintient chez les rats ayant reçu une flore saine, la FMT de microbiote d’un patient Alzheimer induit une modification plus importante des taxons, avec notamment une augmentation de Desulfovibrio. La fonction colique des rats ayant reçu le microbiote d’un patient Alzheimer est également modifiée (selles plus humides, raccourcissement du côlon, hyperplasie des cryptes du côlon proximal…).

… et transfère les altérations de la mémoire

Mais surtout, les rats ayant reçu le microbiote d’un patient Alzheimer réussissent moins bien certaines tâches, notamment celles sollicitant la mémoire spatiale à long terme et dépendant physiologiquement de la neurogénèse, processus via lequel des cellules souches neurales de l’hippocampe génèrent de nouveaux neurones tout au long de la vie. D’ailleurs, les auteurs montrent que la FMT d’un microbiote d’un patient Alzheimer affecte cette neurogénèse, et notamment la survie et l'arborisation dendritiques des neurones. Comment ? Sans doute par voie vasculaire. Certains métabolites bactériens capables de franchir la barrière hémato-encéphalique sont pointés du doigt par les auteurs. Par ailleurs, les auteurs montrent qu’in vitro, baigner des cellules embryonnaires progénitrices de l'hippocampe dans du sérum de malades affecte la prolifération neuronale, la différenciation et la morphologie des dendrites. 

Ces résultats, qui devront être confortés par d’autres études (mécanistiques, d’intervention, métabolomiques…), montrent que la maladie d’Alzheimer ne se limite pas au seul cerveau. Ils pourraient inspirer de nouvelles approches visant à retarder l'apparition ou à ralentir la progression des démences, voire s'appliquer à d'autres troubles neurodégénératifs et cognitifs.

Recommandé par notre communauté

"Une grande découverte"  -@iagharanya (De Biocodex Microbiota Institute sur X)

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Actualités Neurologie Gastroentérologie

La composition du microbiote intestinal est associée à l’apparition future de la maladie de Crohn chez des sujets sains apparentés au premier degré de malades

ARTICLE COMMENTÉ - Rubrique adulte

Par le Pr. Harry Sokol 
Gastro-entérologie et nutrition, Hôpital Saint-Antoine, Paris, France

Commentaire de l’article de Raygoza Garay et al. Gastroenterology 2023 [1]

Contexte et objectifs : la cause de la maladie de Crohn (MC) est inconnue, mais l’hypothèse actuelle est que des facteurs microbiens ou environnementaux induisent une inflammation de l’intestin chez des individus génétiquement susceptibles, conduisant à une inflammation intestinale chronique. Les études cas-témoins de patients atteints de MC ont catalogué les altérations de la composition du microbiome intestinal ; cependant, ces études ne parviennent pas à distinguer si l’altération de la composition du microbiome intestinal est associée à l’initiation de la MC ou est le résultat de l’inflammation ou d’un traitement médicamenteux. Méthodes : Dans cette étude de cohorte prospective, 3 483 parents sains au premier degré de patients atteints de MC ont été recrutés pour identifier la composition du microbiome intestinal qui précède l’apparition de la maladie et pour déterminer dans quelle mesure cette composition prédit le risque de la développer. Une approche d’apprentissage automatique à l’analyse de la composition du microbiome intestinal (basée sur le séquençage du gène de l’ARN ribosomal 16S) a été utilisée pour définir une signature microbienne associée au développement futur de la MC. La performance du modèle a été évaluée dans une cohorte de validation indépendante. Conclusion : Cette étude est la première à démontrer que la composition du microbiome intestinal est associée à l’apparition future de la MC et suggère que le microbiome intestinal contribue à la pathogenèse de la maladie de Crohn.

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Que sait-on déjà à ce sujet ?

La maladie de Crohn (MC) est une maladie inflammatoire de l’intestin (MICI) caractérisée par une inflammation chronique et récidivante de l’intestin. La cause de la MC est inconnue, mais l’hypothèse actuelle est que des facteurs microbiens ou environnementaux induisent une inflammation de l’intestin chez les individus génétiquement prédisposés, entraînant une inflammation et des lésions intestinales chroniques. Des études cas-témoins de patients atteints de la maladie de Crohn ont répertorié des altérations de la composition du microbiome intestinal [1]. Toutefois, ces études ne permettent pas de déterminer si l’altération de la composition du microbiome intestinal est associée à l’apparition de la maladie de Crohn ou si elle est le résultat d’une inflammation ou d’un traitement médicamenteux. Pour répondre à ces questions, le projet Canadien GEM (Genetic Environmental Microbial), une étude de cohorte prospective de parents au premier degré en bonne santé de personnes atteintes de la maladie de Crohn, a été conçu pour identifier les paramètres associés au développement de la maladie de Crohn. Parmi ces paramètres, les auteurs se sont intéressés au profilage de la composition du microbiome intestinal qui précède l’apparition de la MC et à la mesure dans laquelle cette composition prédit le risque de développer la MC. Les auteurs ont appliqué une approche d’apprentissage automatique à l’analyse de la composition du microbiome intestinal dans une vaste cohorte de sujets sains parents au premier degré de personnes atteintes de la maladie de Crohn (N = 3483) afin de définir une signature microbienne associée au risque de développer la MC.

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Quels sont les principaux résultats apportés par cette étude ?

En utilisant les données collectées dans la cohorte GEM, les auteurs ont développé et validé un score de risque du microbiome (SRM) capable de classer les individus qui développeront plus tard la MC. Parmi les taxons contribuant le plus au SRM, l’abondance accrue des Ruminoccus torques et de Blautia était positivement corrélée au SRM (suggérant un effet délétère de ces taxa), alors que l’abondance du genre Roseburia était corrélée négativement avec le SRM (suggérant un effet protecteur de ce genre). Enfin, les auteurs ont constaté qu’une augmentation de l’abondance du genre Faecalibacterium était inversement associée à une augmentation du SRM. Cette étude est la première à montrer que la diminution de l’abondance de Faecalibacterium peut être une signature préclinique de la MC qui peut être observée de nombreuses années avant l’apparition de la maladie, suggérant un rôle causal de la diminution de cette bactérie anti-inflammatoire (2). De manière importante, les altérations du microbiome précédant l’apparition de la MC étaient observées indépendamment de l’existence d’une inflammation intestinale (mesurée par la calprotectine fécale).

Les auteurs ont également réalisé une analyse métabolomique des selles dans un sous-ensemble de la cohorte. La cytosine et son dérivé, la cytidine avaient la plus forte corrélation négative avec la SRM.

En outre, la signature pré-CD de la SRM était associée à une réduction des métabolites ayant une activité anti-inflammatoire ou antioxydante comme le gentisate et le nicotinate. Ces métabolites protecteurs étaient également positivement corrélés à l’abondance de Faecalibacterium et de Lachnospira, ce qui indique une interaction biologique potentielle entre l’abondance de ces métabolites et la composition microbienne.

Points clés
  • Le microbiote intestinal s’altère plusieurs années avant le diagnostic de maladie de Crohn, indépendamment de l’existence d’une inflammation intestinale, suggérant un rôle causal du microbiome dans la maladie de Crohn
  • Un Score de risque du microbiome pourrait permettre d’identifier les sujets les plus à risque de développer une maladie de Crohn
  • Une intervention précoce ciblant le microbiome pourrait être proposée chez les patients identifiés comme à risque de développer une maladie de Crohn

Quelles sont les conséquences en pratique ?

Cette étude suggère que l’analyse du microbiome des individus sains à risque de développer une maladie de Crohn pourrait permettre d’identifier les sujets à plus haut risque et donc d’initier une surveillance rapprochée et potentiellement d’initier des interventions visant à modifier le déséquilibre microbien pour réduire le risque de développer la maladie.

CONCLUSION

Cette étude est la première à démontrer que des altérations de la composition du microbiome intestinal précèdent de plusieurs années le diagnostic de la maladie de Crohn. Cela suggère que le microbiome intestinal contribue à la pathogenèse de la maladie de Crohn et qu’il pourrait constituer une cible pour la prévention et/ou la thérapie.

Crohn : le microbiote ideal, facteur prédictif de récidive ?

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Maladie de Crohn : une dysbiose intestinale précèderait la crise

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Le microbiote intestinal en tant que déterminant d’une alimentation saine

Par Anissa M. Armet 1 , João F. Mota 2,3 et Jens Walter 3
1 Département des sciences agricoles, alimentaires et nutritionnelles, Université de l’Alberta, Edmonton, Alberta, Canada
2 Faculté de nutrition, Université fédérale de Goiás, Goiânia, Goiás, Brésil
3 APC Microbiome Ireland, Faculté de microbiologie, Département de médecine, et APC Microbiome Institute, University College Cork – National University of Ireland, Cork, Irlande

Les maladies non transmissibles (MNT) chroniques ont atteint des proportions épidémiques dans les pays industrialisés, une évolution clairement liée à l’adoption d’un comportement alimentaire de type occidental. Les MNT sont également liées au microbiote intestinal, et la recherche sur des modèles animaux a établi l’importance des interactions alimentation-microbiote dans le développement des pathologies, ainsi que les mécanismes sous-jacents. Nous discutons ici de ce qui constitue une alimentation saine du point de vue de la science du microbiote et soutenons qu’une compréhension mécanistique des interactions alimentation microbiote peut éclairer les discussions sur les controverses concernant la nutrition et aider au développement de régimes plus sains.

Des données de plus en plus nombreuses montrent que le microbiote intestinal a un impact significatif sur la santé humaine. L’alimentation occupe une place centrale dans cette relation, et les habitudes alimentaires occidentales ont joué un rôle majeur dans l’exacerbation récente des maladies non transmissibles (MNT) chroniques dans les pays développés sur le plan socio-économique. Nous discutons ici de ce qui constitue une alimentation saine du point de vue de la science du microbiote et appliquons ces données pour éclairer les controverses actuelles dans le domaine de la nutrition et le développement de stratégies nutritionnelles ciblant le microbiote. Cet article se concentre sur les recommandations diététiques pour la population générale à des fins de prévention des maladies, et non pour les patients souffrant de pathologies qui ont souvent des besoins diététiques spécifiques et devraient consulter un nutritionniste ou un diététicien diplômé.

Alimentation saine du point de vue du microbiote

Aliments complets d’origine végétale versus aliments transformés

Selon toutes les recommandations que nous avons examinées [1], les aliments complets d’origine végétale (légumes, fruits, céréales complètes, légumineuses et noix) ayant subi une transformation limitée devraient constituer la majeure partie de l’alimentation quotidienne (figure 1). Les observations du microbiote confirment ces recommandations (figure 2 et 3). Les aliments complets d’origine végétale constituent la seule source naturelle de fibres alimentaires, dont certaines sont fermentescibles et fournissent des substrats de croissance pour les micro-organismes. La variété des végétaux peut maintenir la diversité du microbiote, et la fermentation des fibres produit des métabolites tels que les acides gras à chaîne courte (AGCC) qui entraînent de nombreux effets métaboliques (libération d’hormones liées à la satiété et amélioration de la sensibilité à l’insuline), physiologiques (augmentation de la production de mucus et de l’expression des jonctions serrées) et écologiques (inhibition des agents pathogènes) [2]. En outre, la fourniture de substrats pour les bactéries prévient la dégradation du mucus, l’inflammation et les infections consécutives chez les souris [3]. Les composés phytochimiques présents dans les aliments complets d’origine végétale, dont la plupart ne sont pas absorbés dans l’intestin grêle, font également l’objet d’une biotransformation par le microbiote intestinal qui augmente leur biodisponibilité, leur absorption et leurs effets antioxydants et immunomodulateurs [4], mais la signification de ces interactions sur le plan de la santé est moins bien comprise. Enfin, les caractéristiques fonctionnelles et la qualité nutritionnelle (par exemple, la composition en nutriments et l’accessibilité) de la plupart des aliments complets d’origine végétale sont largement supérieures à celles des aliments transformés, qui en outre contiennent souvent des additifs alimentaires altérant la composition du microbiote et la fonction barrière de l’intestin (figure 2).

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Infographie sur les recommandations alimentaires mondiales : privilégier fruits, légumes, céréales complètes, limiter sucres, sel et graisses pour soutenir la santé intestinale et le microbiote.
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Résumé visuel des recommandations diététiques internationales : une alimentation saine repose principalement sur des fruits, légumes et céréales complètes, avec des portions modérées de protéines végétales et animales, tout en limitant les aliments transformés, riches en sucres, en sel et en graisses saturées. Ces conseils contribuent à la santé du microbiote intestinal.

Céréales complètes

Le rôle potentiel du microbiote intestinal dans les bénéfices métaboliques et immunologiques bien établis des céréales complètes est de plus en plus étudié. La couche de son des céréales complètes contient des fibres alimentaires telles que des arabinoxylanes et des β-glucanes qui sont métabolisées par le microbiote intestinal par un processus de fermentation. Les effets anti-inflammatoires des céréales complètes ont été liés à l’enrichissement des producteurs d’AGCC [5]. Kovatcheya-Datchary et al. ont démontré que des souris originellement axéniques colonisées par le microbiote fécal d’humains qui réagissent au pain complet à base de grains d’orge et qui contiennent des Prevotella, connaissent une amélioration de la tolérance au glucose qui reflète l’effet chez les humains [6]. En outre, des personnes en surpoids hébergeant la bactérie Prevotella à l’inclusion dans l’étude ont montré une perte de poids importante avec une alimentation riche en céréales complètes [7]. Ces études suggèrent qu’au moins une partie des bénéfices métaboliques des céréales complètes sont médiés par le microbiote intestinal (figure 3).

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Sources de protéines

La plupart des recommandations diététiques préconisent de consommer des aliments contenant des protéines végétales (par exemple, légumineuses, noix), et du poisson (par exemple, poisson gras) et de la volaille plutôt que d’autres sources de protéines animales, en particulier la viande rouge (figure 1). Les légumineuses et les noix sont riches en fibres et contiennent des composés phytochimiques et des acides gras oméga-3 qui influencent les interactions hôte-micro-organismes (figure 3). La supplémentation quotidienne en noix et amandes a augmenté les abondances relatives des producteurs de butyrates, en particulier de Roseburia [8]. La supplémentation en haricots mungo a réduit la prise de poids et l’accumulation de graisses chez des souris recevant une alimentation riche en graisse mais pas chez les souris axéniques recevant la même alimentation, ce qui établit un rôle causal du microbiote [9]. Parmi tous les aliments contenant des protéines animales, il est probable que le poisson gras présente les plus grands bénéfices immunologiques et métaboliques liés au microbiote [1].

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Infographie comparant aliments végétaux et transformés : les premiers renforcent le microbiote et la barrière intestinale, les seconds favorisent inflammation et maladies chroniques.
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Comparaison des effets des aliments complets d’origine végétale et des aliments transformés sur la santé intestinale et le microbiote : les fibres et composés phytochimiques des aliments végétaux soutiennent le microbiote, améliorent la fonction barrière intestinale et réduisent les risques de maladies chroniques, tandis que les aliments transformés favorisent l’inflammation, perturbent le microbiote et augmentent le risque de pathologies métaboliques.

Habitudes alimentaires

La prise de conscience que la santé n’est pas principalement influencée par des aliments ou des nutriments individuels, mais par leur interconnexion et leurs effets synergiques, a conduit à souligner le rôle des régimes alimentaires dans plusieurs directives diététiques récemment mises à jour, telles que les Dietary Guidelines for Americans (directives diététiques pour les Américains) 2020-2025 et le guide alimentaire canadien. Le régime méditerranéen combine de nombreux groupes d’aliments qui ont des effets favorables sur les interactions hôte-micro-organismes. Plusieurs essais contrôlés randomisés ont été conduits pour explorer ces interactions et ont montré que les bénéfices métaboliques, immunologiques et cognitifs du régime méditerranéen étaient liés à une abondance accrue de Faecalibacterium prausnitzii et Roseburia [10].

De quelle manière le microbiote intestinal peut-il éclairer les controverses autour de l’alimentation saine ?

Viandes rouges et transformées

La plupart des recommandations diététiques et plusieurs sociétés savantes préconisent de réduire la consommation de viande rouge et d’éviter les viandes transformées, bien qu’une série d’études systématiques datant de 2019 ait conclu qu’il n’y avait que peu de preuves de leur lien avec des effets néfastes sur la santé [11]. Le microbiote intestinal apporte une perspective utile dans cette controverse. La fermentation protéolytique des protéines animales par les micro-organismes intestinaux augmente les métabolites toxiques tels que l’ammoniac, le p-crésol et le sulfure d’hydrogène [12]. Riches en graisses saturées, les viandes transformées stimulent davantage la sécrétion d’acides biliaires dans l’intestin grêle, qui sont ensuite transformés en acides biliaires secondaires par les micro-organismes. En outre, les agents de conservation utilisés dans les viandes transformées, les nitrates et les nitrites, sont des substrats pour la biotransformation microbienne en composés N-nitrosés. Les considérations toxicologiques soutiennent donc les recommandations diététiques actuelles (figure 3). Les métabolites résultant de la fermentation des protéines (par exemple, le sulfure d’hydrogène, l’ammoniac) sont moins toxiques et ne sont pas actuellement classés comme cancérogènes pour l’homme, ce qui permet de conclure qu’une consommation modérée de viande rouge maigre ne présente probablement qu’un risque limité. En revanche, les composés N-nitrosés et les acides biliaires secondaires qui résultent de la consommation de viandes transformées sont cancérogènes, ce qui va dans le sens des recommandations préconisant d’éviter ou de réduire le plus possible la consommation de viande transformée.

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Recommandations centrées sur le microbiote pour une alimentation saine

  • Suivre les recommandations diététiques (figure 1).
  • Diversifier au maximum les sources végétales consommées et essayer d’aller au-delà des taux de fibres actuellement recommandés (25-38 grammes/jour).
  • Réduire au minimum les aliments transformés contenant de grandes quantités de sucres ajoutés, de sel, de graisses saturées et trans, ainsi que les viandes transformées et les produits laitiers à forte teneur en matières grasses.
  • Inclure des aliments fermentés avec des micro-organismes vivants (sans traitement thermique) à faible teneur en sucres, en graisses et en sel comme les yaourts, les légumes fermentés, le kéfir et le kombucha.

Produits laitiers

La plupart des recommandations diététiques préconisent la consommation de produits laitiers écrémés ou à faible teneur en matières grasses (0-2 %) et suggèrent d’éviter les produits laitiers à forte teneur en matières grasses (> 25%) (par exemple, certains fromages, produits à base de crème, beurre). Toutefois, il n’existe pas de consensus concernant les produits au lait entier (~ 3,5 %), qui sont déconseillés dans certaines recommandations diététiques, bien que leurs effets nocifs aient été contestés. Les interactions entre les graisses contenues dans les produits laitiers et le microbiote intestinal doivent faire partie de cette discussion. Les acides gras saturés dérivés du lait favorisent la présence de Bilophila wadsworthia, qui est pro-inflammatoire et a provoqué des maladies telles que la colite [13] chez des modèles de souris. Ces résultats mécanistiques soutiennent les recommandations diététiques visant à limiter les produits laitiers aux produits à faible teneur en matières grasses (figure 3).

Régimes pauvres en glucides

Les régimes pauvres en glucides sont populaires car ils peuvent permettre de perdre rapidement du poids et d’obtenir des bénéfices métaboliques remarquables à court terme, mais les résultats ne sont pas toujours durables. Ces régimes sont riches en matières grasses et/ou en protéines et souvent pauvres en fibres. Par conséquent, ils induisent un profil métabolique à risque, avec des concentrations accrues en composés N-nitrosés et des taux réduits de butyrates et de composés phénoliques anti-inflammatoires [14]. En raison de leurs effets sur le microbiote intestinal, les régimes pauvres en glucides pourraient donc être néfastes pour la santé lorsqu’ils sont consommés sur des périodes prolongées.

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Une alimentation plus saine grâce au microbiote

Bien que les recommandations diététiques internationales soient très cohérentes et donnent d’excellentes orientations sur ce qui constitue une alimentation saine, des améliorations et des innovations restent possibles par une prise en compte plus systématique du microbiote.

Évolution et restauration du microbiote

La symbiose homme-microbiote évolue depuis des millions d’années dans des contextes environnementaux et nutritionnels très différents. L’industrialisation, qui a conduit à une augmentation importante des MNT, a appauvri la diversité du microbiote, réduit la capacité de ses enzymes à utiliser les glucides, entraîné un enrichissement en organismes et enzymes dégradant le mucus et conduit à une perte de symbiontes microbiens. Sur la base de cette évolution, il serait donc justifié d’augmenter l’apport en fibres au-delà des 25 à 38 grammes par jour actuelle ment recommandés, cet argument étant corroboré par des études tant observationnelles qu’interventionnelles [15]. Outre la promotion d’un apport accru en fibres issues d’aliments complets, il existe une puissante justification scientifique à la correction de l’impact de l’industrialisation sur le microbiote intestinal à travers des stratégies prébiotiques, probiotiques et synbiotiques. Des produits tentant de restaurer la diversité du microbiote sont déjà sur le marché, mais cette recherche et la validation clinique n’en sont qu’à leurs balbutiements (voir ci-dessous).

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Schéma sur l'impact des aliments sur le microbiote : végétaux, poisson gras et produits fermentés soutiennent l’équilibre intestinal, viande rouge et aliments transformés le perturbent.
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Effets différenciés des groupes d’aliments sur le microbiote intestinal : les aliments d’origine végétale, le poisson gras et les produits laitiers fermentés pauvres en matières grasses soutiennent un microbiote sain et réduisent les risques inflammatoires. Les produits transformés, riches en graisses saturées, protéines et composés nitrosés, altèrent l’équilibre microbien et augmentent les risques de maladies chroniques. Ce schéma illustre les mécanismes microbiotiques justifiant les recommandations diététiques.

Probiotiques et prébiotiques

Bien que de nombreuses études aient montré les bénéfices cliniques de l’utilisation des probiotiques et des prébiotiques pour des objectifs médicaux spécifiques, peu d’allégations de santé ont été approuvées par les agences réglementaires. En outre, il existe peu de preuves que leur consommation réduise le risque de MNT, et la grande majorité des recommandations diététiques nationales ne préconisent pas leur inclusion dans le cadre d’une alimentation saine. Il existe un fort potentiel de développement des probiotiques et des prébiotiques et leur combinaison (synbiotiques) assure une prévention plus systématique des maladies chroniques. La recherche en cours explore l’utilisation de ces stratégies pour corriger l’impact de l’industrialisation sur la diversité et la fonction du microbiote intestinal. Des produits ont été développés et commercialisés dans ce domaine, mais ils sont en attente d’une validation clinique dans le cadre d’essais cliniques randomisés bien contrôlés, et la recherche disponible est trop peu avancée pour formuler des recommandations générales.

Micro-organismes vivants

Une autre caractéristique de l’industrialisation est la réduction de l’exposition microbienne. Selon l’hypothèse de la biodiversité, un contact avec des environnements naturels est nécessaire pour enrichir le microbiote humain, favoriser l’équilibre immunitaire et assurer une protection contre les allergies et les maladies inflammatoires. Les probiotiques apportent des micro-organismes vivants et sont étudiés et commercialisés dans ce contexte depuis des décennies (voir encadré « Probiotiques et prébiotiques »). En outre, les aliments fermentés, comme le kéfir, le yaourt, le kombucha et la choucroute, peuvent, lorsqu’ils sont consommés crus, contenir un nombre important de micro-organismes vivants (bactéries et champignons). Bien que les micro-organismes présents dans les aliments fermentés ne colonisent pas l’intestin humain du fait de leur nature non native dans cet écosystème, ils restent détectables dans le microbiote fécal humain et pourraient interagir directement avec l’hôte.

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Certaines recommandations diététiques intègrent les aliments fermentés, comme le yaourt et les laits fermentés, dans leurs préconisations. Leurs bénéfices sont de plus en plus fréquemment rapportés dans des études observationnelles et des essais contrôlés randomisés de plus petite taille, mais un plus grand nombre d’essais contrôlés dans l’espèce humaine sont nécessaires.

Nutrition de précision

Tout le monde ne réagit pas de la même manière aux interventions alimentaires, ce qui remet en cause l’approche universelle adoptée actuellement dans les recommandations diététiques. La nutrition de précision ou personnalisée vise à adapter les préconisations nutritionnelles à la biologie de la personne (gènes, métabolisme, etc.). Les analyses du microbiote pourraient devenir une composante clé des stratégies de nutrition de précision. Bien que plusieurs entreprises offrent déjà des conseils diététiques personnalisés basés sur le microbiote fécal, ces services ne sont validés par aucune autorité réglementaire, laissant planer un doute quant à la justesse des recommandations. Les directives diététiques nationales actuelles ne tiennent pas compte des approches de précision ou personnalisées, et leur mise en œuvre sera difficile à l’échelle d’une population. Bien qu’il existe une justification scientifique à la personnalisation de la nutrition, il est important de souligner que la plupart des individus tireront des bénéfices des recommandations diététiques discutées ci-dessus.

Conclusion

Le microbiote intestinal pourrait constituer la « boîte noire » de la recherche sur la nutrition, car de nombreux effets physiologiques de l’alimentation pourraient être influencés par les interactions entre alimentation, micro-organismes et hôte. Des recherches supplémentaires seront nécessaires pour déterminer dans quelle mesure le microbiote contribue aux effets physiologiques de l’alimentation et quels mécanismes détectés dans les modèles animaux s’appliquent à l’espèce humaine. Néanmoins, les preuves disponibles indiquent que le microbiote intestinal joue un rôle important dans les effets de l’alimentation, soulignant qu’une compréhension mécanistique des interactions alimentation-microbiote peut éclairer les controverses concernant la nutrition et aider au développement de régimes plus sains.

Sources

1. Armet AM, Deehan EC, O’Sullivan AF, et al. Rethinking healthy eating in light of the gut microbiome. Cell Host Microbe 2022; 30: 764-85.
2. Blaak EE, Canfora EE, Theis S, et al. Short chain fatty acids in human gut and metabolic health. Benef Microbes 2020; 11: 411-55.
3. Desai MS, Seekatz AM, Koropatkin NM, et al. A dietary fiber-deprived gut microbiota degrades the colonic mucus barrier and enhances pathogen susceptibility. Cell 2016; 167: 1339-53 e21.
4. Chang SK, Alasalvar C, Shahidi F. Superfruits: phytochemicals, antioxidant efficacies, and health effects - a comprehensive review. Crit Rev Food Sci Nutr 2019; 59: 1580-604.
5. Martínez I, Lattimer JM, Hubach KL, et al. Gut microbiome composition is linked to whole grain-induced immunological improvements. ISME J 2013; 7: 269-80.
6. Kovatcheva-Datchary P, Nilsson A, Akrami R, et al. Dietary fiber-induced improvement in glucose metabolism is associated with increased abundance of Prevotella. Cell Metab 2015; 22: 971-82.
7. Roager HM, Christensen LH. Personal diet-microbiota interactions and weight loss. Proc Nutr Soc 2022: 1-28.
8. Creedon AC, Hung ES, Berry SE, Whelan K. Nuts and their effect on gut microbiota, gut function and symptoms in adults: a systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. Nutrients 2020; 12: 2347.
9. Nakatani A, Li X, Miyamoto J, et al. Dietary mung bean protein reduces high-fat diet-induced weight gain by modulating host bile acid metabolism in a gut microbiota-dependent manner. Biochem Biophys Res Commun 2018; 501: 955-61.
10. Kimble R, Gouinguenet P, Ashor A, et al. Effects of a mediterranean diet on the gut microbiota and microbial metabolites: a systematic review of randomized controlled trials and observational studies. Crit Rev Food Sci Nutr 2023; 63: 8698-719.
11. Johnston BC, Zeraatkar D, Han MA, et al. Unprocessed red meat and processed meat consumption: dietary guideline recommendations from the Nutritional Recommendations (NutriRECS) Consortium. Ann Intern Med 2019; 171: 756-64.
12. Louis P, Hold GL, Flint HJ. The gut microbiota, bacterial metabolites and colorectal cancer. Nat Rev Microbiol 2014; 12: 661-72.
13. Devkota S, Wang Y, Musch MW, et al. Dietary-fat-induced taurocholic acid promotes pathobiont expansion and colitis in Il10-/- mice. Nature 2012; 487: 104-8.
14. Russell WR, Gratz SW, Duncan SH, et al. High-protein, reduced-carbohydrate weight-loss diets promote metabolite profiles likely to be detrimental to colonic health. Am J Clin Nutr 2011; 93: 1062-72.
15. Reynolds A, Mann J, Cummings J, et al. Carbohydrate quality and human health: a series of systematic reviews and meta-analyses. Lancet 2019; 393: 434-45.

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Article Microbiote intestinal

Effet du microbiote intestinal sur la vaccination Covid, et vice-versa

On soupçonnait une interaction bidirectionnelle entre le microbiote intestinal et la vaccination. Des travaux viennent de la confirmer, en caractérisant les bactéries liées à la durabilité de l’immunité, et les effets de deux technologies vaccinales (ARN et virus désactivé) sur le microbiote.

Les réponses immunitaires au vaccin contre le COVID-19 dépendent de multiples facteurs, dont la composition du microbiote intestinal. Inversement, la vaccination pourrait moduler la flore intestinale. Pour mieux comprendre cette interaction bidirectionnelle, une étude prospective longitudinale a été menée à Hong Kong. Et ce, via le recueil d’échantillons de sang et de selles (à l’inclusion puis 1 et 6 mois après la vaccination) de sujets vaccinés soit avec le (sidenote: BNT162b2 Vaccin anti-covid 19 à ARN incorporé dans des nanoparticules de lipides du laboratoire BioNTech-Pfizer, commercialisé sous le nom "Comirnaty" dans l'UE. ) (n=121 sujets, âge moyen = 42 ans), soit avec le (sidenote: CoronaVac Vaccin anti-covid 19 à virus entier inactivé, adjuvé (adjuvant : hydroxyde d'aluminium) de Sinova. Autorisé dans de nombreux pays d'Asie et d'Amérique du Sud. En Europe, il est autorisé en Bosnie, en Ukraine et en Turquie. Source : www.mesvaccins.net/ ) (40 sujets, âge moyen = 55 ans), et n’ayant pas contracté le Covid durant l’étude.

Effet du microbiote sur la réponse vaccinale

L'immunogénicité du BNT162b2 (vaccin ARNm) s’est avérée plus forte et plus durable que celle du CoronaVac, les sujets présentant des taux d’anticorps à 6 mois plus élevés.

Chez les sujets vaccinés BNT162b2, une plus grande abondance de Bifidobacterium adolescentis, de B. bifidum et de Roseburia faecis au moment de la vaccination allait de pair avec une meilleure réponse vaccinale. L’abondance de trois espèces bactériennes (B. adolescentis, Lachnospira pectinoschiza et Lactococcus lactis) à l’inclusion permettaient même de prédire la réponse vaccinale à 6 mois. 28 métabolites, dont l'acide nicotinique (Vitamine B) et γ-aminobutyrique (GABA), étaient associés, positivement ou négativement, avec la réponse au vaccin.

Chez les vaccinés CoronaVac (virus inactivé), davantage d’anticorps à 6 mois allaient de pair avec davantage de bactéries productrices d'acide gras à chaîne courte comme Phocaeicola dorei, Blautia massiliensis et Dorea formicierans et avec une moindre abondance de Faecalibacterium prausnitzii à l'inclusion. L’abondance de trois espèces bactériennes (Clostridium fessum, Actinomyces sp. ICM47, et Enterrotcloster citroniae) à l’inclusion prédisaient les anticorps à 6 mois. 42 métabolites, dont le L-tryptophane, s’avéraient associés négativement aux anticorps à 6 mois. Ainsi, chaque technologie vaccinale est associée à une réponse immunitaire particulière, dépendante de la composition initiale du microbiote.

Effet du vaccin sur le microbiote

Inversement, le vaccin, quel qu’il soit, modifiait le microbiote intestinal : réduction de la diversité ; augmentation de Bacteroidota et Pseudomonadota et moindre abondance de Bacillota et Actinomycetota ; réduction des voies de biosynthèse de l'histidine et accroissement de celles de dégradation de la méthionine et de l'arginine. Les altérations du microbiote intestinal liées à la vaccination de CoronaVac ressemblaient davantage à celles induites par l'infection par le SRAS-CoV-2. La technologie de ce vaccin (virus entier inactivé) pourrait expliquer cette différence.

Enfin, le microbiote intestinal du groupe BNT162b2 a plus rapidement retrouvé sa diversité, mais une plus grande proportion (58,0 %) des espèces modifiées par la vaccination n’était pas revenue aux niveaux initiaux 6 mois après la vaccination, comparativement au CoronaVac (21,6 %).

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